Karma Police
Pour situer le contexte, petit retour sur la veille de course. A 40’ de la fin du check-in (le contrôle des vélos qui doivent être placés dans le parc la veille des Ironman), je me rends compte que la valve à l’avant doit fuir car j’ai perdu 3-4 bars de pression depuis notre dernier petit tour de vérification du matos, 2h auparavant. Chouette, je préfère ça que m’en rendre compte en sortant de l’eau comme à Belfort en 2008. Ni une ni une deux, avec l’aide de Patrice qui a des mains comme ses cuisses et qui peuvent donc aussi servir de clés-minutes (c’est bon à savoir même si le Patrice ne peut pas se glisser dans une poche arrière ou se scotcher sous la selle, par contre, il est beaucoup plus causant, on ne peut pas tout avoir).
Bref, nous changeons la chambre à air et zou arrivons à 15h59 pour rentrer nos vélos (limite 16h). Ouf … car nous savons depuis la veille qu’ils ne plaisantent pas avec le règlement depuis que la WTC a repris en direct l’orga. En effet, Kat Baker (3è pro féminine en 2008 ici) qui nous avait rejoint à la villa, s’est vu refoulée au retrait des dossards pour une broutille. Bref, le check-in se passe nickel, pas difficile de repérer nos emplacements, c’est là où il reste un trou dans les 7 rangées des 200 vélos.
Sauf qu’à la sortie du check-in, on nous demande nos run bags (les sacs contenant nos affaires de course-à-pied) :
« - ah, euh… comment dire ? Ce détail nous avait, comme qui dirait, échappé lors du briefing …
- no run bag => disqualification, Sir !
- m’enfin m’dame, j’vous jure j’vous l’bring tomorrow matin at the dawn !
- no run bag => disqualification, Sir !
- Ok, so, ce s’rait-i possibeul, un little rab de time pour faire the Aller and the Back to la house ???
- 30 minutes not one more ! »
Hop, ni une ni deux, directement la 3è à bloc pour notre pauvre Hyundai de loc, direction la villa. Quelques excès de vitesse plus loin, une voiture nous a pourchassé ayant peu apprécié de se faire doubler, je vous passe les détails (sacs finalement déposés juste à temps) mais le soir, la Police passe à la maison et veut carrément m’emmener. Heureusement que notre hôte était là pour jouer de son influence sinon, ils se faisaient le Frenchy pour une prune bien méritée. La prison attendra.
D-Day :
3806m de nata en A/R avec un départ dans l’eau.
Pile à la seconde où le canon retentit pour lancer la course, une méduse m’électrifie le coin de la bouche. Gzzzzz, ça réveille bien ! Ils ont pensé à tout, vraiment, y a pas à dire !
Nata sans encombre, je me retrouve rapidement dans un petit groupe que je quitte puis rejoins en voyant les bancs de méduses sous mes mains (en fait, celles-ci ne piqueront pas mais bon dans le doute, c’est une bonne dizaine de 50m polo que je ferai pour ne pas voir leur présence ni risquer de nouvelles piqures plus sévères comme la semaine précédant la course). Du coup, ça donne un rythme assez spécial où j’alterne les 50m polo vite et les 200 plus cool sur les côtés d’un petit groupe de 4-5.
Fin de l’aller, ils ont tracé une espèce de champignon pour récupérer les mètres manquants et n’ayant pas vu la bouée blanche, j’arrive à la base de la tête du champignon et doit donc faire 30m pour en faire le tour. Je perds ici le contact avec le groupe.
J’en retrouve un autre à mi-chemin du retour dont je mènerai le rythme jusqu’à 200m du terme. L’océan est moins « choppy » (petite houle) que l’an passé donc c’est vraiment plaisant et même si je trouve toujours les nata IM interminables, c’est un peu moins vrai que d’habitude.
Sortie de l’eau, je pense être autour de 55 voire 56’ avec mon erreur d’orientation mais non, 54’30 environ, super nouvelle. Merci les méduses !
Transition normale
Vélo :
180,8km / un petit 300m de D+ / de plus en en plus de vent au fur et à mesure de la journée dont 10’ de tempête à la fin de notre 2è tour
Dès le début, je sens bien que je n’ai pas de grandes jambes et je n’ai, de toute façon, pas prévu de prendre de risques. Je me fais probablement plus doubler en 50km qu’en 10 ans de triathlon : c’est le jeu, ma pov’ Lucette. Puis ça se stabilise et je remonte plutôt au classement. Fin du 1er tour en 1h35.
Du km 60 au km 80, je grapillouille (ça situe le rythme) quelques plaçounettes et reprends quasiment tout ceux qui m’avaient passé dans le 1er tour. Je passe en 2h24 au km 90 mais le vent s’est bien bien levé. Nous essuyons même une petite tempête de quelques minutes, les routes sont soudainement trempées, on se croirait en Normandie.
Cette impression de se sentir chez soi : quel sens de l’hospitalité, ces australiens.
Je commence à doubler un peu plus franchement mais surprise au km 120, tout ceux doublés depuis 1h sont en file indienne derrière !!! Environ 20 gars ;-(
Plutôt à distance (12m ici) de ce que je peux voir les rares fois où je me retourne et lors des U-Turn. Puis quand revient le vent de dos, certains de la file me repassent. Le souci c’est que lorsque l’un double, il doit le faire en moins de 25’’ donc accélérer assez franchement, et si quelqu’un suit le doubleur à 12m, il faut aussi le laisser passer et ainsi de suite donc on passe quasi 2’ à devoir au moins ralentir voire freiner puis comme celui qui a produit l’effort doit récupérer le rythme baisse et tu es derrière à devoir refaire un effort soutenu pour redoubler tout le monde. Je découvre totalement ce genre de contexte de course que je n’ai jamais vécu jusqu’alors et qui devait se situer 5-10’ derrière mes temps de passages habituels. Jusqu’ici, j’ai toujours vécu des vélos IM soit à un rythme totalement solitaire (Arizona ’07, Hawaii ’07, Roth ’08) ou bien avec sur quelques portions, un compagnon de route (Max Renko à Lanza ’09 et Stephen Gage à Busselton ’09) mais jamais cela. Bref, c’est une vraie première pour moi et si le fait que ce soit très clean (sauf un gars, le #728, d’ailleurs le seul en vélo de route, cintre de route, casque de route qui saute de roues en roues) m’empêche d’être écœuré, je me fais quand même avoir à devoir faire un effort totalement irrégulier et pas du tout ni prévu ni conforme à ce que j’attends d’une course de ce type. Si certains (le #728 et peut-être ceux en queue de file) en tirent peut-être un parti chronométrique, je trouve ça plutôt très usant nerveusement et anti-gestionnaire au possible et plutôté pénalisant au niveau vitesse me concernant.
Du coup, après avoir dû subir une fois ce manège : devoir couper totalement mon effort le temps que 6 gars passent puis avoir dû faire moi-même 2’ bien au-dessus du seuil pour les repasser, je décide de ne plus jamais être au-delà de la 2è place donc je déboîte en mettant la main façon clignotant lorsqu’un gars m’a passé depuis 10m pour aussitôt repasser en tête d’autant que le rythme n’est pas super élevé et conforme à ma gestion prudente voulue. Les 2 fois suivantes où un gars me repasse, j’attends donc 10-11m (deux bandes blanches centrales) et repasse aussi sec.
De toute façon même sans la main, tout le monde entend que je vais déboîter car un souci dans mon pédalier est apparu vers le 100è km et dès que j’appuie fort sur les pédales, le bruit devient vraiment infernal. Je regarde souvent pour vérifier que rien ne se détache. Autant les douleurs physiques liées à l’inconfort de ce cadre, je m’y étais préparé, autant là, c’est un peu imprévu. Zeeeen !
Avec cette nouvelle manière d’avancer, je reste environ 4-5’ devant puis dois ralentir 10’’ le temps d’être doublé avant de refaire 20’’ punchy pour revenir en tête. Je me pense ainsi conjointement à l’abri d’un surrégime ou sous-régime et d’une éventuelle pénalité de drafting ou blocking et aborde la fin de course sereinement.
Mon nouveau plan de nutrition se déroule à la perfection : aucune saute de glycémie, aucun trouble digestif, aucune crampe pour le moment (ces 3 facteurs omni-présents sans être profondément handicapants lors de mes 6 précédents IM, provenant aussi évidemment d’une gestion du vélo voire de la nata plus offensive donc je n’en tire pas non plus de conclusion hâtive mais j’en profite simplement et apprécie ces plaisirs minuscules).
Je croise Patrice qui a les jambes des grands jours, je lui prends à peine une minute par croisement (2 par tour) donc sachant que je suis sur les bases d’un gros 4h50, il ne sera pas loin des 5h (plan de course à 5h03 avec autorisation de prise de risques si feeling ok) voire en dessous. C’est tout bon !
Bref, tout roule hormis ce pédalier qui craque de plus en plus mais ça doit tenir jusqu’au bout. J’essuie mes pneus fréquemment, je ne pense pas à la malchance (2 derniers parcours IM avec crevaison), je sais, limite je sens, au fond de moi, que la roue doit tourner ; je me dis, totalement immodestement, que je le mérite, que ce n’est pas possible autrement. J’aurai et la réussite qui se provoque sur les paramètres maîtrisables et le brin de chance qu’il faut sur ceux qui ne se maîtrisent pas. C’est écrit… je ne sais pas où ni en quelle langue mais c’est écrit !
Bon bah, c’est peut-être écrit mais à l’encre pas très sympathique parce que la chance, hé ben, elle est à la bourre. Km147, un sacré contre-temps se profile. Le même gars que d’habitude repasse en tête mais à moins de 5m se trouve l’autre en vélo de route… je lui hurle « 12m », il n’entend/n’écoute pas et au contraire se rabat devant moi. Je relâche la pression sur les pédales instantanément mais ne me relève pas sur les cocottes. L’arbitre arrive et je l’entends siffler, je pense qu’il va cartonner le fameux suceur d’autant qu’il est encore à 5-6m du premier et qu’en coupant mon effort, de mon côté, suis déjà à un bon 10m. Que nenni (juste après queue de poisson, ça fait bcp), il me montre le jaune synonyme de 4’ en prison. Je suis dingue ! Je lui explique, il ne fait que me répondre « I know it’s hard », « mais non c’est pas hard, c’est unfair, complètement unfair !!!! ». Rien n’y fait, il me dit que si l'autre s'est rabattu devant moi c'est parce que j'ai accéléré. Pffff... je reste calme et prends ça comme une épreuve supplémentaire pour montrer de quel bois je me chauffe et essaie de tout positiver. Néanmoins, sans que ce ne soit mon intention, l’adrénaline et la colère intérieure jouent quand même car je repasse en tête et largue tout le joli monde qui m’avait doublé le temps de la notification de la sanction. Au moment de repasser devant le 2è de la file, je ralentis un poil, relève ma visière et lui lance « Karma is a bitch, you gonna pay for it » (dédicace MS). Il baisse la tête et détourne le regard. Ce genre de pratiquants me dégoûte bref… Je positive, je me dis que c’est parce qu’il y a des arbitres actifs même imparfaits que la course est à 99% clean et je préfère à la limite largement être un coup sur 120 (ma 120è compet et première sanction) pénalisé injustement que pratiquer dans une joyeuse mafia ambiante avec des arbitres inactifs. Au moment où je manifeste mon énervement au malotru, je percute que si je suis ici victime d’une injustice, je vais finalement effectuer une sanction que je méritais, pour le coup totalement, la veille en voiture. Ah ce karma, décidément, c’est bien fichu.
Bon, j’ai beau positiver, ça n’arrange pas mes affaires quand même. Je ne sais absolument pas où se trouve la penalty box ne prêtant jamais attention à ce genre de détails lors des briefings. Je ralentis donc à chaque ravito suivant et finalement c’est quelques km plus loin, juste après le U-Turn. Déjà que ça fait plus de 180km et en plus je dois rajouter des mètres pour aller enclencher un chrono, grrrr…
4’30 plus tard, je repars le couteau entre les (32) dents et la chaîne entre les 13 du pignon, tout en ayant retenu les leçons de l’année précédente où j’étais reparti trop fort après mes 10’ perdues en fin de vélo.
Je finis donc à un bon rythme, reprenant même deux gars de la file indienne que je tirais ;-( Je leur ai donc repris plus de 4’ en 24km. No comment !
Fin du vélo en 4h52’40 pour 180,8km et donc autour de 4h57 avec ma peine alitée
J’oublie de retirer mon compteur du vélo pour l’installer sur mon bracelet à pied. Tant pis (je l’apprendrai plus tard mais en fait : tant mieux !!! Comme quoi, ce qui nous paraît être une infortune peut être positif), la crème solaire est plus importante.
Marathon (42,3km, 3m de dénivelé au total* dont 2 sur la finish line, 23-25°c, encore bcp de vent)
Sitôt sorti du parc, je reconnais Simon Billeau environ 50m devant, il a donc 44’ d’avance (temps estimé au tour de 10,5km pour une allure 3h qui était, j’imagine, son ambition initiale) moins 15’ de décalage pour les pros et se situe donc 29’ devant moi. Je le rattrape doucement au km 1,5 et l’invite à m’emboîter le pas.
Je n’ai ni montre, ni FC, pas d’amorti sous les pieds, juste mon cœur à écouter et je ne vais faire que ça pendant 3h. Je repense à des articles sur l’évolution de la course à pied moderne bardée d’électronique (j’aime ça) par rapport à l’ancienne école, au feeling (j’aime ça aussi) et je me dis que c’est finalement peut-être l’occasion de pouvoir être finalement plus relié que jamais à mon corps et de vivre encore plus pleinement le moment qu’avec un ordinateur embarqué à la main qui décide, en partie, le rythme à tenir.
Je prends néanmoins le soin de ne pas non plus trop m’enfermer dans ma bulle, je communique un max avec les enfants qui tendent les mains, les supporteurs déguisés en Elvis, le groupe de stars du disco etc… c’est ma manière de me concentrer et d’oublier le temps qu’il reste. Etre acteur du chrono qui défile. Etre actif à chaque kil’. Etre heureux d’être encore debout, sur un fil mais debout.
Au km 4, on croise les premiers et j’ai quand même un regard sur les numéros de ma caté. Je n’en fais pas un objectif majeur mais le slot me ferait évidemment plaisir, de manière symbolique. Ce n’est pas une idée fixe, à tel point que contrairement aux habitudes, je ne suis pas allé vérifier quel nombre a été attribué à ma caté et pense donc qu’il y en a 3 (en fait, il y en avait 4). Je compte donc ceux que je sais être de ma caté et rajoute ceux dont je ne vois pas le dossard donc au moins 6 et maximum 10 (en réalité, j’étais 9 à ce moment). J’ai bien identifié le premier, maillot jaune, qui a environ 3km d’avance sur moi et un style assez puissant et les autres ne sont pas loin derrière. En gros pour la qualif, je suis à la rue … mais quelle belle rue et surtout si longue. Km 8, je double José Jeuland qui marche vers l’arrivée et a abandonné (je le soupçonne d’avoir fait ça pour avoir plus de temps à passer avec les mouches qui manifestement l’adorent ;-))). Il m’encourage gentiment. Sympa ;-)
Fin du tour, 500m plus loin nous repassons devant l’arche d’arrivée et je peux enfin savoir le temps total de course. A priori un peu plus de 6h40 (donc j’ai parcouru les 10,5 premiers km en 44’), du coup, l’objectif qui était simplement de courir vite aux sensations devient celui de franchir les 9h.
Ca me ferait plaisir de le faire sur une course aux distances complètes contrairement à Roth. Mais ça m’oblige à courir les 31,8km restants en moins 2h19. Je mets 3km avant de calculer la moyenne ou le temps au km et 100m plus loin, je percute que de toute façon, je n’ai pas de montre pour contrôler que je suis dans les clous. Le gros naze. Enfin si, j’ai une très grosse montre mais consultable tous les 10,5km pour tout moyen de contrôle. Je cours sans jamais m’arrêter, même aux ravitos, je me convaincs d’être une machine faite pour courir. Je souris intérieurement de ce changement de physionomie complet de course pour moi qui globalement gagne ma place via la remontée vélo puis doit la conserver ou au mieux grappiller quelques places. Je suis passé en 4 mois à exactement l’inverse. Totalement improbable.
Je me dis que j’ai la chance de vivre cette situation pour la première fois, je me rends compte de ce que ça fait, de ce sentiment de légèreté, du regard des autres que tu croises et que tu ne sens pas super sereins. J’en suis à mon 7è IM (à Kona 2009, j’étais plutôt un zombie qu’autre chose donc je ne le compte pas vraiment) et j’ai l’impression d’être un chat à qui on aurait accordé le droit d’être une souris pour sa 7è vie. Alors let’s go Speedy Gonzales !!!
Je suis parfois limite en surchauffe (ravitos espacés de 3km entre le 4 et le 7 de chaque tour) mais fais très attention et me tiens à ma stratégie alimentaire malgré la tentation fréquente d’en changer. Il fait 24°c mais les nuages sont fréquents et cela aide énormément. Km 15, je double le Rüdi Völler, le renard des surfaces de drafting. J’ai hésité puis suis passé sans un mot. Le karma reprendra ses droits.
Je regarde mon écart avec le type en jaune qui se réduit mais il doit être encore de 2km à la mi-course donc environ 8’30 quand même ; je positive à fond me rappellant que l’année passée, j’ai passé 30km en tête de mon GA à pied avant de m’écrouler complètement et de marcher 50’ donc ça peut arriver aussi aux autres. Je croise Patrice qui s’accroche bien et qui tient le rythme pour l’objectif (il aura roulé 4h59 finalement et doit donc courir moins de 3h50, je sais qu’il va le faire).
Avant chaque passage sous l’arche, je calcule combien il faudrait que je vois afficher pour que ça reste jouable et à 15’’ près, c’est exactement le temps qui s’affiche. Je n’en reviens pas. C’est anecdotique mais ça renvoit une illusion de contrôle très euphorisante. De ce fait, impossible de se démobiliser. 7h27’30 au semi, il faut donc faire un deuxième semi en 1h32 pour que mon nouvel objectif tout trouvé passe. J’y crois, je me rappelle les séances dures qui sont passées, les mots durs que j’ai parfois entendus, quelques chambrages, je vais chercher des bribes de souvenirs partout comme les pièces d’un puzzle avec tous les petits morceaux nécessaires pour un tableau final qui ressemble à qqc, je prends tout pour me booster.
En plus des mollets et quadris, j’ai très, très mal à un fessier (jusqu’à des décharges électriques) et dois parfois faire des rotations de hanche pour le soulager dans un style assez ridicule mais je garde le rythme. Je réalise soudain que même parmi ceux ayant un voire deux tours de retard personne ne me double hormis le 799 qui a une superbe foulée ce que je ne manque pas de lui dire, il me répond que j’ai une belle tenue (euh, je le prends comment ? lol). Le 3è tour se passe encore assez proprement, le fait de voir que Vernay même si nous avons un tour de décalage ne me prend que très peu me motive également. Je calcule des plages de micro-récup pour souffler, je sais que je dois passer au plus tard en 8h13, à la fin du tour 3 pour rester dans les temps. Je vois que j’ai fondu sur Rebecca Keat la favorite et suit maintenant en avance sur elle de bientôt 15’. C’est bon signe, la victoire féminine se jouant les années moins chaudes autour de 9h.
Passage sous l’arche 8h13’30 au km 31,5. Y a pas de place pour un quelconque loupé. J’accélère (comprenez, je fournis plus d’énergie pour conserver la même vitesse), je ne cherche même pas à compter les chouchous sur mes rivaux GA car il en faut 3 noirs puis un dernier rouge (car la ligne d’arrivée se trouve au début du 5è tour en fait), je continue mon focus personnel.
J’encourage une française que je reconnais à son petit drapeau dans le dos et commence les 2 km les plus durs, où je vais avoir soudain peur de voir la course m’échapper. Je reste zen, j’attends pour tout donner. Pour la première fois, j’ai ressenti cet immense bonheur de « dominer » la distance : savoir à l’avance (ou en tout cas, en avoir l’intime conviction) que je vais finir en courant et que je connais mon temps à 1 ou 2 minutes près. Je sais que la marge d’erreur est mince et que je peux me crasher mais que j’ai la clef entre les mains. Ca fait toute la différence. Je me rappelle la première fois que j’avais ressenti ce sentiment sur LD. C’était à Belfort en 2004 où au km70 en vélo, je m’étais dit, « déjà là » ? J’avais adoré ce sentiment bien au-delà du sentiment procuré par une quelconque place, podium ou autre. Le fait d’être maître de la distance et de son corps sur une distance abordée jusqu’alors avec de la réserve et la peur de craquer. Cette impression soudaine d’avoir franchi un cap important. Là, à ma grande surprise, je me retrouve à vivre ce sentiment sur un Ironman. A vrai dire, je ne rêvais même pas de connaître cela un jour, je me pensais contraint à subir des marathons faits de résistance et d’âpres luttes défensives. Bien sûr, les séances avaient été faites pour remédier à cet état que je pensais, de fait, sans vouloir en accepter la fatalité. Les ailiers forts ont aussi le droit de travailler leur shoot à 3 points, non mais ! Cette euphorie me galvanise et me fait oublier les douleurs qui me déchirent les cuisses. Je ne veux pas laisser échapper cette sensation a fortiori après l’avoir eue autant entre les mains.
Km34, je ne dois absolument pas ralentir car les relances des U-turn sont moins vives depuis le début de cet ultime tour : je passe donc les ravitos sans freiner du tout et fatalement je rate un des deux gobelets prévus. Je percute au dernier moment que le monsieur qui me tend le gobelet est notre hôte !!! La honte, j’espère qu’il ne s’est pas vexé et me laissera quand même laissé du Gooey Cinnamon Cake pour le soir ! Je garde en main l’unique gobelet chopé pour diluer mon dernier gel perso. Maintenant y a plus de roues de secours, faut que ça passe.
Je donne tout … ou presque me rappelant que des bien plus fort(e)s et expérimenté(e)s ont rampé à 5m de la ligne, il faut donc rester lucide et en éveil. Pour la première fois, je me ferme complètement à l’extérieur et passe 10 grosses minutes en complète introspection, le ravito est espacé de 3km avec le suivant et il ne faut pas se voir arriver avant l’heure.
Du coup, j’en oublie de regarder où en est l’écart avec le gars en jaune. Je demande l’heure à 2-3 personnes d’affilée puis fait la moyenne et essaie de calculer où j’en suis, si c’est encore jouable ou pas pour les 9h. A priori, ça doit se jouer à 30’’ près mais c’est faisable. Et dans mon GA, je double Xavier, un des leaders lors du vélo mais comme il est assez lourd, je me dis qu’il ne doit pas être très bien placé et je n’ai absolument aucune idée de ma place mais je me pense hors du podium. Je ne vois même pas le gars en jaune au loin alors que nous avons plus de 500m de visibilité et qu’il reste à peine 2,5km. Tant pis, depuis le début, je dis ne pas être venu pour ça (la qualif) mais simplement pour me remettre sur le chemin, me faire plaisir, tester des choses et me battre comme un lion alors je respecte tout ça jusqu’au bout. J’ai doublé Keat, il reste 1,5km, il faut tenir, je suis au taquet, j’ai même retourner la visière car nous sommes face au vent (on sait jamais si ça se joue à une seconde). Il reste 700m et nous entrons dans les serpentins finaux. Il restera alors le passage derrière The Goose, le tour de la Cafeteria Equinox, passage vers le parc puis les 400 derniers mètres en ville. Au coin du Goose, disparaît un maillot … jaune, je n’en crois pas mes yeux, je n’ai pas eu le temps de vérifier mais pour moi c’est sûr, c’est lui, c’est écrit. Je donne tout, j’ai le souffle au taquet, la carotide qui joue du David Guetta et les cuisses qui tremblent comme les cordes vocales de Maria Callas, je rase les cônes et manque de me tordre la cheville sur l’un d’entre eux, plus très lucide.
Dernier ravito, je prends quand même un gobelet vite fait et arrache le chouchou rouge des mains de la bénévole pas bien réactive. J’ai encore un gros 80m de retard, il reste 500m, je suis à bloc. Il ne se retourne pas, je fonds sur lui, il reste 250m je suis à 30m derrière. Dernière ligne droite. Il reste 150m, je suis dans son dos désormais, je tempère quelques secondes puis déboîte, je dois être à 18km/h grand max mais j’ai l’impression d’être à 307km/h dans la ligne droite des Hunaudières. Je me retourne, il n’a pas embrayé, je vois l’arche : 8h59’35, ça va le faire !!!! Je laisse exploser mon excitation de ce dernier km de folie, et ma rage alors que j’aurai tant aimé faire une ligne d’arrivée plus calme et dédiée mais le contexte en a décidé autrement.
3h04’10 pour le marathon.
Je n’ose aller voir le gars, de peur qu’il ne soit vexé ou dégoûté, ne sachant trop nos places respectives et de peur de l’avoir peut-être privé d’un slot tant attendu. En fait, c’est lui qui vient me voir, me félicite et je lui explique pourquoi ce n'est pas moi qui suis venu direct pour le féliciter : « aucun problème, un Ironman c’est 225,995km pour se départager ». Super état d’esprit. On discute un peu, il m’apprend qu’on doit être dans les 20 au scratch et qu’en 30-34 ans, il était 2è depuis un petit moment et que pour Hawaii, de toute façon, il en revient, il y a 7 semaines (104è au scratch) et ne prendra vraisemblablement pas le slot, l’enchaînement des deux courses l’ayant émoussé.
Petit repas avec Simon Billeau (9è) puis Patrick Vernay (5è) nous rejoint. Les 2 sont un peu déçus forcément. Appels téléphoniques émus à mes 3 plus gros soutiens puis massage light. Je regarde l’heure. Patrice doit arriver dans moins de 5’ pour être sous les 10h. Je file (3,3km/h grand max) à sa rencontre mais j’ai froid donc m’arrête rajouter quelques épaisseurs, le temps que je m’habille, Patrice est là : 9h58 !!! He did it !!!
Le bonheur est total. Grosse embrassade. On s’est battus comme prévus voire au-delà, on a respecté nos plans, on a eu la manière ET le résultat qui vient la récompenser. C’est magnifique et on part comme deux gosses s’acheter une belle glace que l’on déguste lentement … car les glaces c’est comme les courses, tant que c’est pas fini, c’est qu’il en reste encore.
* J’exagère un peu, il y a quelques faux-plats qui doivent gonfler le chiffre mais ils sont imperceptibles. Le vent joue bien plus sur la vitesse.
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